Europe malgré tout, où mon rêve s’exile.

Europe, mon premier et mon dernier asile.

Europe pleine de Capitales,

Vous serez dans les légendes un beau monstre polycéphale.

Alors, sur toutes vos routes fatiguées par les charrois de la guerre et de la paix,

Sur vos réseaux ferrés qui ressembleront à des nerfs coupés,

Sur vos mines évidées qu’emplira l’eau, sur vos grues

Qui rappelleront ces potences à pendus qu’on voyait jadis parfois dans les rues,

Sur vos hauts fourneaux rouillés que dévoreront les lichens,

Sur vos transatlantiques remisés qui remueront encor leurs chaînes,

Flottera le souvenir triste et chaud, tremblant et très matériel,

D’où quelque enfant d’Asie, un jour, composera l’Iliade industrielle.

Europe, je pense aux villes d’acier en forme de bateaux

qui se détachent de toi en criant et s’en vont sur les eaux.

Elles portent les raides, munis d’un smoking et d’un carnet de chèques

et les flexibles, qui ont cousu deux billets dans leur carrick à carreaux.

Elles portent ceux qui vont prendre le frais sur le deck,

et ceux, dans l’entrepont, qui essayent d’avoir chaud.

Elles portent les locomotives qui danseront sur le fil des tropiques

et, pour saillir la brousse, Europe, tes charrues électriques.

Elles portent tout l’alcool qu’il faut pour faire tourner cent millions de bons négros

et aussi les belles camelotes imprimées qui les rendront beaux.

Alors, voici cette Afrique.

Ses fours à soleil, pierre et âmes éclatées ;

ses névés, gels en feu aux berges de l’azur

désert ;

sa peau, sa chair,

ses flancs, son ventre,

ventricules de quartz, artères

de diamants ;

ses eaux battantes,

Congo, aorte à douze branches,

baptême et rajeunissement !

Ses végétaux : pulpe bouillonante, excroissances

délirantes sur le fumier déchu des anges ;

fermentation des eaux souillées et de la fièvre ;

flammes en rameaux crépitantes de la sève

foudre vivante à la rencontre des éclairs ;

naissance ! […]

Afrique, tu es une carte pleine de beaux dessins, de belles encres,

dansles bureaux de leurs Etats-Majors, les archives de leurs Banques.

De quelle hauteur tombent leurs fleuves et ce qu’il tient d’eau dans leur lit

et ce qu’ils valent en kilowatts, c’est là qu’on le lit.

Là son marqués les lacs, ceux qui vont mourir et déjà ceux qui vont naître,

le poids des monts et la bonté du ciel, le nom des hommes et le nom des bêtes.

Et pour mesurer la hauteur de la fièvre et la tension du cœur,

on y a rangé les dieux dans de beaux rectangles de couleur.

Ainsi, pour voler toute la gomme et tout l’ivoire, toute la chair et tout le manioc,

ceux qui savent lire peuvent dire combien il faudra de chicottes et de docks.[1]

[1] Charles Plisnier, Périple (1936) pour les quatre extraits.

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Périple [Intercalaire]