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Gestation - 1

Publié le par T.B.

Quoi… ça commence maintenant ? Ah, déjà !!

Bin…c’est que… je suis pas tout à fait prêt…

Y a moyen de… ?

Non… bon… bah, j’y vais alors…

Il m’arrive parfois de me sentir dépouillé comme un arbre à son hiver

Quelque fois le verbe ne me repeuple pas de mes oiseaux migrés

Je ne sens aucun nid en mon branchage aucun gazouillis aucune promesse d’envol

Aucun oison où sont mes bourgeons où traine encore la saison nouvelle ?

Il m’arrive de me sentir dénudé comme une frondaison d’hiver

Comme un cerf ayant perdu sa ramure ou une forêt son ramage

Que dire alors ? Chers amis, parents, le silence n’a pas d’âge

 

Il m’arrive parfois de me sentir comme un ciel qui aurait été vidé de ses étoiles

Une lionne cherchant partout son lionceau Un peintre son coup de pinceau et même ses toiles

Professeur sans élève Amant sans sexe Navire sans gouvernail Vieillard sans mémoire

Il m’arrive parfois de me sentir absurde et désuet quand je découvre mon stylo muet

Mon rêve évaporé à la fenêtre l’aube déjà archivée un énième soleil fait le guet

Nostalgique de quand je me sentais empli comme une citerne après vingt jours de pluie

Un lac parturient rengorgé par son barrage une coulée de boue ou après l’orage un éboulis

 

Il m’arrive parfois…

 - Mec ; pourquoi t’écris pas de la prose ?

C’est bien joli de faire des vers. J’aime ça.

- Ils sont trop longs.

Je sais. Aujourd’hui on a le vers comme les idées : trop court ;

le verbe trop courtois, la verve au rabais.

- La verve, c’est quoi ?

C’est ma colère faite fleuve oral, florilège fort réel, art floral,

euphorbe et ronce plutôt que madrigal et nonce.

- Ça t’emmerderait de parler normalement ?

C’est pas « poétique » de se faire comprendre ?

Si, bien sûr. Je dis que, parfois, il m’arrive de me sentir chargé.

Le bassin de rétention une fois rempli, le poème est mon déversoir.

Ma vie est un bourbier dont je me demande comment émerger,

Je m’y sens perdu, je m’endors souvent en compagnie du désespoir.

- Et t’es vraiment obligé de faire des vers ?!

Non bien sûr le vers n’est pas la poésie mais je vois dans le poème

La meilleure transcription de mes états d’esprit sa forme en friche

Permet d’ajuster au plus précis le médium littéraire au thème

Quant aux rimes ça m’amuse je l’avoue mais au fond je m’en fiche

Ma métrique est le plus souvent comme l’amour enfant de bohème

- Et le thème ? Ce s’ra encore la beauté, la nature, ces conneries…

Oh bien sûr parfois ça m’arrive je ne dis pas

mais c’est la vie qui nourrit ma plume

la vie ?! que dis-je, l’amertume

à mes fenêtres le frimas

loge quatre saisons à l’année

dois-je me dire bien né

que je voie mes frères damnés

mes sœurs condamnées

mourir de faim de froid ou de par le fer

l’injustice n’enfante que la colère

 

Je fus seul comme un tunnel. Les oiseaux me fuyaient,

et en moi la nuit pénétrait de son invasion puissante.

Pour me survivre je t’ai forgée comme une arme,

comme une flèche à mon arc, comme une pierre à ma fronde.[1]

 

De tels vers je me nourris

ils sont mon pain et mon cirque

mon passe-temps mes porte-paroles

ma lagune mon repaire pirate ma crique

des vers irréguliers, en colonne ou en escalier

mais toujours une escalade dans l’art de vitupérer

de m’égosiller ou p’t-être une façon bien à moi de régler

mes comptes mais là il me faut faire promesse aux agenouillés

le poète se relèvera et de sa grande masse d’armes de mots de vers

pètera un plomb foutra le bordel allumera la mèche secouera la fourmilière

et de sa voix devenue soudain aussi tonitruante qu’un poumon de cent mille hères

mettra en pièces

le chef et puis l’orchestre

Fera la chanson espagnole à trente-six tours

Le vers soviétique à dix-sept[2] pieds bien comptés

La révolution comme l’aube à chaque jour

Une permanence de l’anarchie jamais domptée

-> ce vieux fleuve voûté qui attend sa résurgence

ce tout vieux Jésus dont on moque la parousie

avec sa Jérusalem sociale depuis deux mille ans passés mise sous régence

pauvre arche en vérité

si je dixvagues

que l’on ne s’étonne pas mon esprit mon verbe prennent l’eau ou le large

l’eau c’est leur scène et puis le projecteur aussi leur décor leur théâtre si tu comprends pas te frappe pas n’importe quel trois-mâts sait de quoi je parle

l’eau c’est notre souffrance aussi une baignoire danaïde ou une baignoire pour algérien du genre conçue pour guérir définitivement du FLN[3] si tu vois c’que je veux dire

l’eau c’est notre élément comme la terre le vent la sueur la poignée de main le rire comme l’accolade comme les retrouvailles l’eau c’est notre élément comme la palabre comme la réunion comme la course comme les cheveux ébouriffés notre élément je te dis comme la falaise la forêt le marais la marée notre élément comme l’oisiveté le repos la santé le labeur aussi le don et puis bien entendu comment pourrais-je l’oublier le contre-don

L’eau c’est l’élément de tous ceux qui aspirent au grand large

Et c’est tout et rien que cela mon amour anarchie[4], ma poésie

 

 

[1] Pablo Neruda, Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée (1924)

[2] Révolution espagnole en 1936, russe en 1917.

[3] Front de Libération National, organisation indépendantiste algérienne. Le supplice de la baignoire était une technique de torture pratiquée par la police française.

[4] Album de Léo Ferré (1970)

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